Une nuit de garde comme interne à l’hôpital Saint Louis s’achève … On est au début des années 70
Il est 8h30 du matin, le jour se lève et l’hôpital reprend doucement son rythme. La garde de nuit se termine pour l’interne qui observe un peu hébété le va-et-vient des malades et du personnel qui reprend: les brancardiers poussent les patients vers la radio (en cas de pluie une petite capote de caoutchouc noir est au dessus de la tête des malades), les infirmières apportent les prélèvements sanguins du jour au laboratoire (avec un pull au dessus de leur blouse quand le temps est frais), les jeunes étudiants convergent vers les services où ils sont en stage, les charriots vides des petits déjeuners des patients attendent d’être collectés, parfois un chat traverse furtivement la cour, à la poursuite d’un gros rat.
L’interne, est arrivé à Saint Louis la veille, à la même heure, pour sa journée de travail. Se sont succédés la visite, le courrier des sorties, les réunions de service, l’accueil des entrées, la contre visite en fin d’après midi … A 18h30 c’est la garde qui commence …
A cette époque ce sont les internes de médecine, de chirurgie, de gynécologie-obstétrique qui assurent seuls l’accueil aux urgences ainsi que la surveillance et le traitement de tous les malades hospitalisés (hormis dans certains secteurs très pointus comme l’hématologie ou la chirurgie spécialisée par exemple)
En chirurgie l’interne est secondé, lorsqu’il est occupé au bloc opératoire, par un jeune externe chargé des soins courants.
« Appelle moi seulement si ça saigne … » était la consigne, mais c’était peut être une plaisanterie!
En médecine l’interne est au poste des urgences mais doit également courir à l’appel des services d’hospitalisation en cas de souci. Parfois ce n’est qu’une perfusion à reposer, la chute d’un malade, mais parfois aussi un AVC, une embolie pulmonaire, ou encore un malade psychiatrique agité, ce qui allait l’occuper de longues heures.
A l’hôpital Rothschild le rituel consistait en début de nuit à faire le tour des services avec le(la) surveillant(e) de nuit pour un dernier coup d’oeil aux patients posant problème … Je me souviens d’une surveillante qui avait l’habitude de nous signaler ceux qu’elle appelait les « Saint Pierre », comme pour nous dissuader de tout activisme thérapeutique excessif … C’était de mauvais présage disait-elle si on avait entendu le hibou hululer et pire encore si on était un soir de pleine lune …
Il fallait se débrouiller avec nos connaissances encore balbutiantes.
Point de service de réanimation pour prendre en charge l’urgence vitale, pas de soins intensifs de cardiologie. Ces structures commençaient seulement à voir le jour dans quelques centres, et chercher un point de chute pour un infarctus âgé de plus de 70 ans était peine perdue. De même, en cas d’hémorragie digestive, il n’y avait qu’un seul médecin de garde à l’APHP, qui circulait en taxi entre les différents hôpitaux de Paris pour effectuer sur appel une endoscopie en urgence!
Une nuit passée à courir … et, dans le meilleur des cas, un peu de purée et une saucisse froide avalée vers 3h du matin en salle de garde où l’on croisait parfois le collègue de chirurgie abasourdi par une longue journée au bloc opératoire.
Les nuits calmes on pouvait alors s’allonger mais rarement plus d’une petite heure avant que le téléphone ne sonne à nouveau (à Saint Louis il fallait au préalable chasser les chats qui se réfugiaient dans la chambre de garde)
C’est dire que les premières lueurs du jour étaient appréciées avec l’assurance d’être à nouveau épaulés par nos anciens.
Pourtant tout n’était pas fini car une nouvelle journée de travail débutait, et au final on avait passé plus de 30 heures en continu à l’hôpital …
La fréquence de ces gardes variait selon le nombre d’internes de l’hôpital (en gros une garde par semaine et un week-end par mois)
Là encore on mesure le chemin parcouru en un demi siècle, même si les conditions de travail du personnel soignant sont restées très dures et les heures de travail des internes non comptées.
En témoigne la désaffection du personnel para médical et aussi médical que l’on déplore en ce moment,
« Un interne a environ trois fois plus de risque de se suicider qu’un Français de même âge de la population générale ! Chez les internes, une méta-analyse retrouve une prévalence du syndrome dépressif de 28,8%, tandis que la prévalence du burn-out est estimée à 51,0% » (Fondation Jean Jaurès)